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le boycott du Qatar est-il utile ?

Alors que le boycott de la Coupe du monde 2022 prévue au Qatar est de plus en plus d’actualité, à un mois du lancement de la 22e édition de ce rendez-vous planétaire, le président de la FIFA Gianni Infantino ne veut pas mélanger football et politique : «s’il vous plaît, concentrons-nous maintenant sur le football. Nous savons que le football ne vit pas dans un vide et nous sommes également conscients qu’il existe de nombreux défis et difficultés de nature politique dans le monde entier. Mais s’il vous plaît, ne laissez pas le football être entraîné dans toutes les batailles idéologiques ou politiques qui existent.» Pourtant, fédérations, anciennes gloires du football ou encore administrations politiques dénoncent le désastre environnemental que causerait l’organisation du Mondial dans le pays du Golfe, en plus des questions des droits de l’Homme soulevées depuis déjà plusieurs mois aux quatre coins du monde. L’un des dossiers ayant amené cette question du boycott était l’enquête autour de l’«esclavagisme moderne» des travailleurs étrangers sur les chantiers du Mondial, que le quotidien britannique a poursuivi durant plusieurs années, jusqu’à dévoiler l’étendue des dégâts humains causés par des conditions jugées déplorables. Néanmoins, ces appels pourraient être considérés comme trop tardifs, ou parfois même hypocrites.

«Si on invoque que les mairies françaises par rapport au fait qu’ils interdisent les écrans géants, oui c’est hypocrite parce que si cette Coupe du monde gênait les responsables politiques, ces derniers auraient dû réaliser des actions en amont, explique Kevin Veyssière, analyste en géopolitique et créateur du FC Geopolitics, qui vulgarise la géopolitique du ballon rond. Pour rappel, les écrans géants n’ont été mis en place qu’à partir des demi-finales, donc ça dépendait pas mal du parcours des Bleus. Même si la mairie de Paris a aussi pris cette position, la seule voix avec un peu de sens était celle de Pierre Rabadan, adjoint aux sports de la mairie (1). Cette image engagée que se donne Paris est également hypocrite, puisque la capitale s’appuie grandement sur l’image du Paris Saint-Germain pour briller à l’international mais aussi par rapport aux liens entre la ville et l’Emirat en lui-même, pour tout ce qui est hôtellerie de luxe et réaménagement des infrastructures. Si on veut être cohérent : si on veut boycotter le Qatar, on boycotte aussi son argent, ses produits, le pays dans son ensemble.» Ce qui ne change pas vraiment la volonté des Français de suivre ce Mondial : dans une étude menée par Ipsos auprès de 1500 Français à la mi-octobre, 50% déclarent avoir l’intention de suivre la compétition. Malgré les récents appels au boycott, ce pourcentage n’a que très peu baissé par rapport à la précédente mesure menée fin août (3 points de moins, 53%). Les intentions diffèrent quant à elles selon les tranches d’âge (61% pour les 18-34 ans, seulement 46% pour les 35+ ans).

Une situation qui ne date pas d’hier

Le Qatar n’est pas le seul parmi les pays-hôtes d’un Mondial à être dans le viseur d’ONG pour son non-respect des droits de l’Homme : «il y avait déjà eu pas mal de critiques à l’encontre de la Russie. Durant la compétition, elles n’ont pas été aussi bien mises en avant car le Mondial tournait beaucoup moins autour de Vladimir Poutine, contrairement aux Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi (2014). Le président russe voulait faire une Coupe du monde qui mettait le pays en lumière, et non sa personne. Ces questions d’écologie et de droits humains ont fait moins de bruit car elles étaient moins présentes à l’époque dans l’opinion occidentale. L’association ‘Russie-football’ choque peut-être moins pour quelqu’un qui ne s’y connaît pas que ‘Qatar-football’, en plus des problèmes déjà évoqués. Il y a eu 8 stades sortis de terre au Qatar, moins en Russie, qui avait néanmoins été dans le viseur pour des travailleurs nord-coréens exploités pour construire des stades», nous explique l’auteur de 22 histoires insolites sur la coupe du monde de football, publié aux éditions Max Milo.

L'ex-président de la FIFA Sepp Blatter (à droite) aux côtés de l'ancien émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al Thani

L’ex-président de la FIFA Sepp Blatter (à droite) aux côtés de l’ancien émir du Qatar, Hamad ben Khalifa Al Thani (Crédit : MaxPPP)

Malgré les critiques envers l’émirat quant aux manques de sécurité et d’aménagement des lieux des travaux en raison du climat caniculaire (plus de 36°C en été), on ne peut pas ignorer la responsabilité de la FIFA dans l’attribution de la compétition. Car oui, toutes ces questions ne datent pas d’hier et devaient déjà être posées lorsqu’elle avait offert sur un plateau l’organisation au Qatar : «en décembre 2010, la FIFA était bien contente d’attribuer le Mondial 2022 au Qatar. Donc, comment la compétition sera organisée sur un territoire qui ne partage pas le même socle de valeurs que d’autres pays, surtout pour un football très “européo-centré”, surtout au niveau des institutions. Donc c’est un choix qui revient en boomerang au niveau de la FIFA. (…) Certaines se sont réveillées à quelques mois du Mondial, comme la FFF qui s’est alliée avec d’autres homologues pour créer un fonds d’indemnisation que veut Amnesty International depuis plusieurs mois. Mais est-ce une véritable volonté de leur part ou une simple posture prise ?»

Des conditions de travail remises en question

Pour répondre aux nombreuses accusations dévoilées sur la scène médiatique européenne, avant de prendre de l’ampleur dans les quatre coins du monde, le Qatar pouvait s’appuyer sur le rapport la collecte et l’analyse des données sur les accidents du travail au Qatar, publié par l’Organisation Internationale du Travail en novembre 2021 : « il est important d’analyser les chiffres largement diffusés sur les décès de migrants, les chiffres présentés dans ce rapport et ceux communiqués publiquement par le gouvernement du Qatar, dans le cadre du rapport sur les ODD. Le chiffre de “6 500 décès”, rapporté par un média, a été largement reproduit par de nombreuses autres sources, sans toujours inclure le contexte et les détails de l’article original, et en attribuant souvent ces décès à la construction des sites de la Coupe du monde. Ce chiffre inclut tous les décès dans la population migrante (cercle rouge), sans faire de distinction entre les travailleurs migrants et la population migrante générale, sans parler des décès résultant d’accidents du travail, encore moins les décès résultant d’accidents du travail. »

Des travailleurs étrangers sur un chantier au Qatar

Crédit : MaxPPP

On peut rajouter à cela l’ensemble des réformes mises en place à l’automne 2019 par le pays pour améliorer les conditions de travail et de vie des travailleurs immigrés, notamment par la fin de la Kafala (procédure d’adoption spécifique au droit musulman qui correspond à une tutelle sans filiation, ndlr). Des avancées applaudies par Sharan Burrow, secrétaire générale de la Confédération syndicale internationale (CSI). «Les recherches de l’OIT montrent qu’il y a eu 50 morts et un peu plus de 500 blessés graves en 2020. Ce sont ces chiffres qui sont exacts, et non pas le total de 6 000 et quelque morts. Il y aurait eu des milliers de morts sans les changements que nous avons vus. (…) Faut-il plus de changements ? Absolument, mais (le Qatar) mérite qu’on lui accorde du crédit. (…) Le Comité suprême d’organisation a assumé leurs responsabilités (…) et beaucoup des réformes que nous voyons aujourd’hui ont été mises en place pour la Coupe du monde», a-t-elle expliqué dans un entretien accordé à l’AFP en octobre 2019.

Une vision du football très “européo-centrée”

En effet, cette prise de position de plusieurs fédérations occidentales ne va pas forcément avoir un bon écho du côté de leurs homologues d’autres continents, qui se verraient obligées de se plier à un socle de valeurs et de mœurs parfois différents des leurs. Etant un pays musulman, le comité d’organisation a publié un long document, fixant ainsi les règles du Qatar pour l’accueil des supporters. La vision “européo-centrée” de cette compétition pourrait mettre à l’écart plus de la moitié de la population mondiale, dont les deux pays les plus peuplés de la planète : «il y a aussi une vision occidentale des choses qui souhaite que son modèle s’adapte à d’autres pays du monde, ajoute Kevin Veyssière. Sauf que pour les pays asiatiques ou encore africains, ça peut être vu aussi que l’Occident n’est pas content du Qatar car ce n’est pas le modèle qu’il voulait. Ce qui pourrait créer un fossé entre le reste du monde et les fédérations occidentales, qui seraient bêtes de se priver de la Chine et de l’Inde, les deux plus grosses populations de la planète.»

Autre problématique ayant entraîné l’indignation des associations luttant contre le réchauffement climatique : les stades climatisés. Pour rappel, les huit enceintes choisies pour l’occasion profitent de l’air conditionné, produit par l’énergie solaire, en provenance des tribunes, dans le but de réduire les hautes températures du pays, que ce soit pour les spectateurs et même les joueurs. Néanmoins, ce report du Mondial à la fin de l’année devrait éviter au comité d’organisation de l’utiliser durant la compétition : «pour le Qatar, il fait généralement en automne entre 16 et 24 degrés, donc la climatisation ne sera pas forcément utilisée, étant un aspect qui a été énormément pointé du doigt. Mais c’est juste que le pays anticipe en se disant que construire des stades ultramodernes pourrait l’aider à accueillir de grandes compétitions à l’avenir, quelle que soit la température, et montrer la force nationale en matière d’industrie et de technologie.»

Ces stades accueilleront des matches de la Coupe du monde 2022 au Qatar

Les stades Khalifa International, 974 et Lusail, accueilleront des matches de la prochaine Coupe du monde (Crédit : Comité d’organisation de la FIFA World Cup Qatar 2022)

En plus de l’utilisation moins probable de l’air conditionné cet automne en raison des conditions climatiques clémentes, le Qatar veut également profiter de cette compétition afin de mettre en valeur les efforts alloués pour la préparation des infrastructures, notamment par le biais du recyclage : « nous sommes fiers de devenir la première édition de la Coupe du Monde à obtenir la certification ISO 20121. Cette évaluation menée par une institution tierce montre que nous appliquons des standards exigeants. Ils nous permettent de créer une compétition durable aux retombées positives. La prise en compte du principe de durabilité dans toutes nos opérations nous a permis de préparer un événement qui marquera positivement les joueurs, l’ensemble des personnes qui travaillent à l’organisation de la compétition et les habitants du Qatar», a déclaré dans un communiqué de presse José Retana, chargé du développement durable au sein du comité d’organisation.

Qu’en est-il pour les prochaines éditions ?

En plus de donner peu d’importance aux nombreuses discussions environnementales et sociales, la haute instance du football mondial semble demander plus de moyens aux pays organisateurs, ce qui ne devrait pas s’arranger avec la réforme valable dès l’édition 2026 : «l’organisation d’une Coupe du monde coûte de plus en plus cher au fil des éditions, les coûts d’organisation étant amputés du budget du pays, laissant la FIFA s’accaparer d’une grosse partie des bénéfices. Si on ajoute à cela le passage à 48 nations, il n’y a plus aucun pays capable à lui seul d’accueillir tout le monde, si ce n’est les grosses puissances comme les Etats-Unis ou la Chine. Aujourd’hui, écologiquement parlant, c’est une aberration et la FIFA devrait prendre le problème à bras-le-corps, avec un retour à 32 équipes ou en réalisant un Mondial de la manière la plus durable possible dans un seul pays.»

Le coût d'une Coupe du monde pour le pays organisateur au XXIe siècle

De plus, l’analyste en géopolitique Kevin Veyssière évoque également les thèmes qui pourraient être discutés à quatre ans de la Coupe du monde en 2026, prévue en Amérique du Nord (Canada, Etats-Unis et Mexique) : «elle pourrait être critiquée en amont, car le racisme ambiant aux USA existe toujours à l’encontre de la population afro-américaine, ce qui pourrait être discuté car aucune avancée n’est remarquée sur ce sujet. Chaque pays organisateur peut aussi être mis face à sa gestion interne et ses choix politiques. Les compétitions continueront à être critiquées si on commence à faire des coorganisations qui n’ont pas vraiment de sens géographiquement. L’Arabie Saoudite, par exemple, aurait moins de critiques en s’associant à la Grèce et l’Egypte (candidats pour la CdM 2030), ce qui serait le premier Mondial sur trois continents différents.»

Un Mondial comme outil politique ?

S’il y a bien une candidature pour la Coupe du monde 2030 qui devrait faire parler, c’est bien le cas Espagne-Portugal-Ukraine. Le dernier pays cité, victime de l’invasion russe, est venue s’incruster à la candidature de la péninsule ibérique, dans le but d’appuyer un peu plus son soutien au drapeau jaune et bleu : «la candidature bénéficie du soutien inconditionnel de l’UEFA dans un projet global et transformateur pour le football européen dans une situation exceptionnelle. Luis Rubiales et Fernando Gomes, les dirigeants de la RFEF et de la FPF, ont compris qu’il n’y a rien de mieux qu’une Coupe du monde pour transmettre un message fort qui servira de source d’inspiration pour l’avenir. Avec le soutien total de l’UEFA, la candidature ibérique intègre la fédération présidée par Andriy Pavelko afin de construire des ponts et de projeter un message d’unité, de solidarité et de générosité de l’ensemble du football européen», peut-on lire dans le communiqué de la Fédération Royale Espagnole de Football.

Néanmoins, pour Kevin Veyssière, cette proposition tripartite n’a plus rien d’une candidature à but sportif, mais bel et bien géopolitique : «la Coupe du monde est devenue un faire-valoir politique et son organisation, elle, un enjeu de puissance et de visibilité. Avec cette candidature, qui n’a pas de réel sens culturel ou même environnemental, c’est une manière pour l’UEFA de confirmer son soutien à l’Ukraine et promouvoir la compétition pour montrer un pays libre et fort. Ce n’est pas la meilleure manière pour l’UEFA de la défendre. A la limite, si l’instance veut faire un geste fort, une fois les conflits terminés, elle pourrait réaliser une autre compétition sur le sol ukrainien et aider le pays à se reconstruire, ce qui aurait plus de sens. Mais cette coorganisation n’est pas la bonne solution…» Il faudra attendre 2024 pour connaître l’organisateur de cette édition, qui célèbrera le centenaire du Mondial, avec deux autres coalitions également prêtes à l’accueillir (Arabie-Saoudite-Egypte-Grèce et Argentine-Chili-Uruguay-Paraguay).

(1) «Les conditions environnementales et sociales de ce genre d’événement ne sont pas le modèle qu’on souhaite promouvoir. (…) Faire une zone de célébration pour les mois de novembre et décembre ne nous semblait pas approprié», a déclaré Pierre Raban, adjoint aux sports de la Mairie de Paris début octobre 2022.

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